Dans quel monde vit-on !
Je veux dire moi, le premier sport que j'ai fait, c'était à l'école.
Du coup moi j'aime pas le sport.
Le sport c'est porter des fringues moches, que tu ressembles forcément à rien dedans, que tu voulais pas, que déjà devoir les acheter c'est presque autant le calvaire que de devoir s'en servir, pour faire des singeries avec d'autres gugusses sapés pareil dans une salle peinte en orange-oubliée-même-plus-moisie-mais-desséchée, avec un sol qui fait grouic grouic sous les baskets mais que c'est pas pour ça qu'il fait pas mal quand tu te rétames parce que le gros bourrin du lot n'a pas calculé ton interférence sur la trajectoire lui-cage de handball, parce que si ça attrape le caoutchouc des semelles, ça attrape aussi la peau, et que quand tu es en train de sautiller niaisement et vainement sur place pour t'échauffer les triceps (ou imiter le dytique à l'agonie ou en overdose de cocaïne, je sais pas trop, j'ai jamais bien compris le but de la manœuvre) encouragé même pas sincèrement par une gourdasse ou un crétin qui lui aussi est "en tenue" mais qui lui ne fout rien, et que soudain tu prends du recul avec tes neurones qui n'ont pas encore fondu ou qui ne sont pas noyés dans la sueur et tu te vois, toi et les autres dytiques tu te dis "Imagine, là, les extra-terrestres ils débarquent. Trop la honte."
Qui a jamais pensé que le sport nuisait à notre image intergalactique hein !
Le sport c'est nul, le sport ça craint, le sport j'aime pas, voilà.
Du coup, moi, forcément quand ma mère, ma propre mère, qui a à peu près les mêmes principes de communication intergalactique que moi, a acheté ça :
Sous la pression familiale j'ai fini par monter sur la chose, faire deux ou trois jeux crétins, sans enthousiasme, et quand on m'a poussée à faire deux trois trucs "sérieux" type gym-yoga, je suis descendue illico de l'instrument de torture : les "Tendez bien les bras. Vous devez sentir vos muscles des hanches qui tirent" (Moi qui avait toujours cru que les hanches étaient des articulations, je tombai des nues !) poliment indiqués par la douce voix du coach en pixels m'ont fait remonter à la gorge tous ces souvenirs de grouic grouic, dytique et compagnie.
J'ai cru que j'étais sauvée, que j'avais su rester le dernier bastion de la raison dans cette famille de dégénérés où les gens se mettaient à faire du jogging à deux sur place devant la télé.
J'avoue, je fus naïve ou alors je sous-estimai la dangerosité et la fourbitude de la chose...
Je pense que ce qui m'a perdue, c'est l'existence de tableaux de hi-scores.
Ça a dû titiller en moi cet instinct du record, cette hargne, cette pulsion primale qui pousse à négliger et transcender tous les besoins vitaux, à se faire péter les nerfs, les yeux, le dos, à se faire des ampoules aux doigts à force de tapotis frénétiques (mes oncles qui ont le même instinct ont réellement eu des ampoules aux doigts pour cette raison. Ce qui ne les empêchait pas de continuer leurs jeux olympiques de game boy avec des torchons autour du pouce) pour mettre son score, avoir son nom, laisser la marque de sa glorieuse victoire, la trace de son affirmation sur le réel, avec le plus de zéros possible, dans la grille des hi-scores du tétris.
Ou de n'importe quel jeu débile de portable, du moment qu'il y a des hi-scores.
Donc, bon, du coup, même sur la wii-fit...Et comme ces sadiques ont mis des hi-score même sur les exercices de gym ou de yoga...
Mais je vous arrête tout de suite ! Avant qu'il n'y ait des déviances et des tentatives de diffamation, je jure que je n'ai jamais pratiqué le footing de salon ! En règle générale je ne touche pas à ce qui est "aérobic" et qui sous-titre d'un air qui se veut prometteur "brûlez des calories en vous amusant !". Mes calories sont beaucoup trop précieuses, que personne n'y touche ! (Pour information, la même wii-fit m'indique régulièrement que je suis en sous poids...Pour 42kg et demis, je trouve qu'elle exagère ! )(Non ?)
Mais voilà, j'avoue qu'en se débrouillant bien, on peut me surprendre en train de me tenir dans la même position que la dame verte de l'emballage devant une télé...(Je dis "en se débrouillant bien" parce que celle là ça va encore, y en a d'autres qui font bien trop pitié à voir, une fois réalisées par moi...)
Mais ça encore ça allait ! Enfin ça irait encore quoi !
Le problème c'est que ça commence à gravement nous atteindre, ma mère et moi (oui parce que c'est quand même aussi un peu de sa faute : c'est elle qui s'efforce de me vider de la grille du jeu de foot en ne faisant que des parfaits...). Notamment à cause de la coach.
Déjà on lui a donné un nom. Bon c'est pas un nom très gentil donc c'est encore avouable : Madame Demie-Patate. Je ne dirai pourquoi qu'à ceux que ça intéresse vraiment. (Parce que la raison est déjà un peu moins avouable...)
Ensuite y a eu cette fois où on a allumé et où on s'est dit "Attends, on est complètement barjos ou bien elle a les cheveux qui ont poussé ??". Cette angoisse nous étreignit longtemps, jusqu'à ce que je reçusse (mais si mais si, c'est tout à fait correct !), à l'internat, ce mail dont l'objet devait être à peu près : "urgentissime !!!" et qui disait "Pour Madame Demie-Patate : c'est pas qu'ils ont poussé, c'est juste que d'habitude elle les attache".
Ça fait déjà un peu peur, mais c'est rien à côté de ce qui m'est arrivé ce matin...
Privée de Demie-Patate depuis une vingtaine de jours, c'est toute guillerette que j'allume la bestiole dans l'optique de pouvoir gaiment l'insulter quand elle dirait "vous sentez vos muscles intercostaux qui se contractent ?" alors que moi j'aurais juste l'impression que mes bras mes jambes et mon dos vont mourir. Je lance le premier exercice et qu'est-ce que je vois t'y donc pas ? Non pas Madame Demie-Patate, mais Monsieur Patate (qui est insupportable, je veux pas lui parler). Outrée, je claque la porte du menu en appuyant rageusement sur B et me précipite sur les options et sur "entraineurs". S'affiche le message qui me fait toujours marrer par son involontaire hermétisme "vous avez choisi une femme". Je retourne au yoga. Et là, qu'est-ce qu'elle me dit ? "Excusez-moi, j'ai veillé très tard hier" avec l'air vaguement emmerdé du type qui s'est pas couché tard parce qu'il arrivait pas à décrocher de la Critique de la Raison Pure, genre. Elle a enchaîné sur un petit laïus sur les conséquences du manque de sommeil sur la santé, mais je n'écoutais déjà plus, j'étais trop abasourdie.
Non mais vous vous rendez compte de combien est tordu l'esprit des mecs qui ont programmé ça ??
Déjà fallait voir sa gueule, à Demie Patate. C'était typiquement l'air mi-embarassé mi-déterminé de celui qui ne fait jamais un écart mais qui a quand même droit à une vie sociale et dont le sens du devoir seul a le droit de lui faire des reproches. Et puis le petit truc un peu sérieux juste après l'aveu, trop ça ! La nana qui fait son autocritique et qui en même temps t'empêche de la critiquer en se posant malgré tout en exemple et qui recadre aussitôt son rôle de "supérieur". Comme les vraies !
Mais alors surtout, il fallait voir la mienne ! D'un coup, cette nana de pixels me semblait "vraiment vraie" comme on dit (d'autant qu'elle avait les cheveux détachés) et je me suis mise à imaginer ce qu'elle pouvait être comme fille en dehors de ses cours, ce qu'elle avait comme amis, quel rôle est-ce qu'elle pouvait tenir dans un groupe (je l'imagine assez timide mais néanmoins posée...) à quoi ça pouvait ressembler sa soirée...
Attends mais c'est vachement dangereux pour mon psychisme moi hein !
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